Comment les préférences personnelles peuvent nuire à nos décisions de placement.
Rédigé par Rita Silvan | Publié le 30 août 2017
Rédigé par Rita Silvan | Publié le 30 août 2017
Mattel, le fabricant des poupées Barbie et Ken, a donné à ce dernier un look « génération Y » qui a suscité de vives discussions dans les médias sociaux. Le débat a été particulièrement polarisé par le type de coiffure que portent certaines versions du nouveau Ken : le chignon masculine.
« […] nous avons tous des biais ou des préjugés – et ils influencent nos choix en matière de coiffure, d’alimentation, de décor, d’animaux de compagnie et, bien sûr, de placement. »
Pourquoi mentionner la polémique entourant le chignon masculin? Afin de nous rappeler que nous avons tous des biais ou des préjugés – et qu'ils influencent nos choix en matière de coiffure, d'alimentation, de décor, d'animaux de compagnie et, bien sûr, de placement. Nous sommes conscients de certaines de ces préférences. Ainsi peut-être aimez-vous mieux voir un homme portant les cheveux en brosse qu'un chignon. Une bonne part de nos préjugés sont toutefois inconscients, mais influent quand même sur nos comportements davantage que nous ne voudrions l'admettre.
Nombre d'investisseurs sont familiarisés avec les « angles morts » les plus courants dont ils doivent se méfier. Ainsi nous connaissons le « préjugé national » qui caractérise les investisseurs, c'est-à-dire leur tendance à investir dans des produits ou des sociétés du pays qu'ils connaissent le mieux : le leur. Mais il existe aussi des biais dont le caractère est plus individuel – et les rend donc plus difficiles à percevoir.
« L'idée qu'une couleur influence l'investisseur vous semble tirée par les cheveux? C'est pourtant ce qui ressort d'une étude réalisée cette année à l'école de gestion de l'Université de Miami. »
En guise d'illustration, imaginons une grande société ouverte ayant pour caractéristiques un bilan très solide, d'excellentes perspectives de croissance et une politique généreuse en matière de dividendes. Comment une telle société pourrait-elle bien déplaire aux investisseurs? Eh bien… peut-être par la couleur rouge utilisée pour présenter son information financière…?
L'idée qu'une couleur influence l'investisseur vous semble tirée par les cheveux? C'est pourtant ce qui ressort d'une étude réalisée cette année à l'école de gestion de l'Université de Miami. Les chercheurs ont constaté que lorsqu'une société utilisait le rouge au lieu du noir pour indiquer les reculs de son action, les investisseurs s'attendaient à ce que ces reculs se poursuivent – de sorte qu'ils réduisaient de 24 % leur placement dans cette société. Comme les Occidentaux ont souvent tendance à associer le rouge à une perte financière, cela peut créer chez eux un préjugé défavorable envers cette couleur. Je me rappelle encore la réaction qu'a eue mon courtier en valeurs mobilières le jour où j'ai voulu signer un document avec un crayon rouge : il a frémi et s'est empressé de me tendre son crayon noir. Inutile de dire que je ne signe plus rien en rouge.
Selon une étude mentionnée l'année dernière dans le Wall Street Journal, les sociétés dont le symbole boursier est « sympathique » affichent des niveaux d'évaluation plus élevés que celles ayant un symbole « peu sympathique » ou difficile à prononcer. Au cours de cette étude, les chercheurs ont demandé à des étudiants de premier cycle universitaire d'attribuer une note aux symboles boursiers de trois lettres désignant près de 2 000 sociétés ouvertes (la note de l'étudiant indiquait dans quelle mesure celui-ci aimait le symbole et le trouvait facile à prononcer). De même, des chercheurs de l'Université Emory et de l'Université du Kentucky ont constaté que les sociétés ayant un nom bref et dynamique faisaient meilleure figure à certains égards que celles ayant un nom de plusieurs syllabes ou difficile à prononcer. Les premières attirent davantage d'actionnaires, génèrent un volume de transactions plus élevé et affichent une meilleure performance pour diverses mesures financières.
Ces exemples montrent à quel point nos préférences personnelles, qui sont liées à nos émotions, peuvent influer sur nos comportements. Et lorsque ces préjugés ont un caractère négatif (rejet), ils persistent plus longtemps dans notre esprit, de sorte que leurs effets s'en trouvent accrus. (Lire à ce propos l'article Le pouvoir étonnant de l'allègement?) À la fin de 2016, un chercheur de l'Université du Colorado a publié une étude montrant qu'après un recul boursier d'une journée, les journalistes avaient tendance à parler des marchés boursiers en termes négatifs durant quatre jours, alors que si les marchés connaissaient une hausse d'une journée, les journalistes en parlaient favorablement seulement durant deux jours.
« L'utilisation d'expressions comme “je sens", “j'aime" ou “je déteste" peut indiquer que nos décisions sont fortement influencées par nos émotions. »
Comment savoir si notre jugement est affecté par des préférences personnelles? De l'avis de Mo Gawdat, auteur de Solve For Happy et chef des affaires à Google X, le laboratoire d'innovation du géant de la recherche en ligne, l'une des façons de le savoir est de prêter attention au langage que nous employons. L'utilisation d'expressions comme « je sens », « j'aime » ou « je déteste » peut nous indiquer à quel point nos décisions sont fortement influencées par nos émotions.
Selon ma propre expérience, si j'investissais uniquement dans des sociétés et des secteurs que j'aime, mon portefeuille afficherait une forte pondération dans les produits de luxe, la mode, l'esthétique et les détaillants haut de gamme; par contre, les titres industriels, pharmaceutiques et technologiques en seraient pratiquement absents. Pour ce qui est des produits de base, le portefeuille ne contiendrait sans doute que des titres de mines d'or et de diamants. Ce ne serait pas exactement ce qu'on appelle un portefeuille bien diversifié.
Par conséquent, je suis en quelque sorte une investisseuse « flexitarienne » (terme qui, en diététique, désigne une personne dont le régime est surtout végétarien, mais comporte aussi de la viande à l'occasion). En matière de placement, je resterai toujours à distance de certains secteurs pour des raisons personnelles, peu importe les occasions de placement qui pourront s'y présenter. Je continuerai cependant d'investir dans des sociétés dont je n'aime ou n'utilise pas nécessairement les produits si j'estime qu'il s'agit de bons placements pour moi.
Il est normal de vouloir investir dans des choses que l'on aime. Mais tout investisseur a avantage à prendre conscience de ses angles morts. Même si vous n'avez pas été séduit par le chignon de Ken, mettez-vous à la place d'un enfant qui s'est fait offrir cette poupée et qui y voit le plus beau cadeau de sa vie! Cet exercice pourrait vous aider à vous défaire de certains préjugés.
Je vous invite à poursuivre cette réflexion sur les préjugés en lisant l'article Les apparences sont trompeuses : vaincre les préjugés en matière de placement.
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